Témoignages

Vincent fait l'effet d'un mouvement lent et apaisant dans un concerto ou une symphonie. Alors que le premier mouvement vous a fait bondir d'excitation et que votre coeur s'est emballé à tout rompre, les premières notes du mouvement lent résonnent et en quelques secondes une sensation de calme intense et profond vous envahit. Vos pensées vibrent à l'unisson avec votre corps. Rien n'a bougé autour de vous, vos voisins sont toujours là et pourtant plus rien ne semble pareil, vous êtes entré en communion avec vous même et avec le monde.

Tel l'oiseau migrateur, Vincenzo a fait le choix de vivre au rythme des saisons, plutôt qu'à celui de la société moderne. Et comme chacun sait, les saisons sont fortement marquées au Québec. Les longs mois d'hiver en intérieur sont propices à la réflexion et à une certaine paix intérieure, quand les températures se montrent plus clémentes, il est temps de se rapproche de la végétation et de la voir pousser, sortir du sol.

Telle la nature, le processus créatif impose son rythme, lent, parfois incertain mais immuable. S'installe une relation de confiance entre l'homme et son environnement. Le temps qui passe devient quasiment palpable, les saisons et toutes leurs diversités sont autant d'éléments qui deviennent familiers et revitalisants pour l'homme. L'homme se déconnecte de la journée de 24h pour mieux se rendre disponible, pour mieux être à l'écoute des éléments (bois, feu, terre, métal, eau), pour mieux capter leur énergie. Toute création passe par plusieurs étapes lentes de maturation qui mettent à l'épreuve la patience et la détermination de l'artiste. La sculpture est exigeante, elle requiert un investissement total. Cela peut prendre des années pour faire une sculpture. Serait-ce pour cela qu'elle se fait rare dans le monde de l'art aujourd'hui?

Capter l’essentiel

De ses vacances d'enfance dans les Vosges avec son grand-père il s'est familiarisé avec la nature et a appris à la respecter. Ce fut une période propice à la découverte des formes de roches et de bois creusées, striées, polies par la nature, mais également à un apprentissage gustatif (champignons, fraises, myrtilles, cassis, la sève des pins en guise de gum...) et olfactif (le foin coupé, la mousse et la terre dans la forêt, les épines de sapins).

Ses oeuvres et sa démarche artistique sont une application concrète de son rapport à la nature et plus globalement à l'humain. « Je ne dissocie pas la nature de l’humain, l’homme fait partie de la nature. Quand j'associe une roche à ma sculpture, cette dernière s’adapte à la forme de la roche. Je ne taille pas dedans, je ne la transforme pas pour mes besoins. Au contraire, je m'associe à elle pour former une sorte de pacte de respect et d’amour. Même si c’est une roche, elle est une forme de vie. » Son regard ne porte pas de haine ni de ressentiments, son art semble être une métaphore de la réconciliation entre l’homme et la nature, entre l’homme et son reflet, entre l’homme et sa conscience.

Vincenzo parle d'approche énergétique de la sculpture, en s'associant aux formes de la nature il tente de capter ses énergies et d'établir un équilibre entre l'homme et son environnement naturel. Même s’il associe parfois des éléments naturels dans ses sculptures, les formes qu'il donne au métal trouvent parfois leurs racines dans la nature. C'est ainsi qu'il conçoit ses sculptures comme des représentations, des fragments de la nature qu'il protège au même titre qu'une forêt ou un lac. D'ailleurs, ses sculptures sont conçues pour être exposées à l'extérieur dans leur environnement naturel, mais aussi urbain ou encore dans nos intérieurs : « elles sont bien, près de moi dans la maison ».

Vincenzo
Canyon du Brick, Anticosti

Il construit également des sculptures éphémères, pour se retrouver, en superposant des roches, des morceaux de bois les uns sur les autres. Au bout d'un moment, le vent les fait tomber et ils retrouvent leur place sur le bord d'une rivière. Vincent dialogue, échange avec la nature, il s'en inspire, il est à son écoute. Tel un arbre qui plonge ses racines dans la terre et qui pointe ces feuilles vers le ciel pour y puiser ses forces.

Vincent a développé une vision d'autochtone, plutôt qu'une vision d'homme blanc en ce sens qu'il s'adapte à la nature et non le contraire. Il est totalement hermétique à la vision industrielle du monde moderne qui consiste à reproduire à l'infini les mêmes schémas, les mêmes cadres de vie, surtout, les mêmes façons de penser et qui s'obstine à vouloir domestiquer la planète à outrance. Il est au contraire attaché à l'unicité, à l'éphémère et à l'usure du temps qui altère les choses et les hommes.

Pour capter l'essentiel et lui donner forme il faut s'être dépouillé de tout le superflu, faire preuve d'humilité et être capable de s'isoler de l'effervescence du monde. C'est le cheminement que suit Vincent. Il fait penser à un oiseau migrateur qui parcourrait le globe dans le sens migratoire inverse. Là où les hommes façonnés par la société moderne courent, s’extasient, se regroupent, se font le miroir d’autres « autres », lui, il s’enfonce dans un univers à mi chemin entre nature et création, entre pierre, bois et métal. Il réinvente une utilité à ces éléments, leur rend hommage, leur procure une nouvelle existence.

Ses mains capturent la matière pour lui rendre ses formes, ses volumes, ses courbes, sa propre dynamique. Son regard questionne, interroge, s’interpose aux flux et reflux d’un monde effervescent en perte identitaire. Ses sculptures sont le témoin d’un long voyage, d’une errance, d’une quête. Tels des appareils de communication, elles nous délivrent un message qui nous dit d'ouvrir nos sens et notre esprit pour capter l'essentiel de la vie.

Sculptures impossibles

En découvrant ses sculptures, votre oeil va sans doute d'abord s'attarder sur la matière, sur les formes, sur les couleurs. Vous aurez alors peut-être envie de prolonger ce premier contact visuel en effleurant du bout des doigts la surface de l'une d'entre elles. Vous serez probablement surpris de leur équilibre précaire, provoquant chez certaines un balancement doux et paisible telle une chaise berçante.

Il insuffle une respiration à ses sculptures. Il compare ce balancement aux battements réguliers du coeur qui est une pompe pour que l’air rentre et sorte, l’air : symbole de vie. Cette particularité donne un aspect organique à ces formes métalliques, elle les adoucit en leur retirant leur aspect statique. Telles les branches, dans un arbre, bercées par le vent.

Techniquement parlant, on pourrait y voir une volonté clairement exprimée du sculpteur de prendre plaisir à défier les lois : « Ici la gravité est juste un procédé, mais c’est défier ce qui est impossible qui m’attire. Juste montrer qu’il est possible de réaliser des choses, qui paressent impossible d’après notre perception, notre jugement, celui d’une société. C’est culturel. »

« Montrer que les gens voient les choses d’après leurs croyances et montrer qu’ils ont tort de dire que ceci est impossible parce que je suis comme ça ou parce que on m’a appris que c’était impossible, ça me révolte! »

Quel est le meilleur moyen de se sentir exister? Une des réponses serait de pimenter sa vie pour la rendre plus savoureuse, plus intéressante. La difficulté quand elle est désirée est un moyen de se surpasser. On pourrait parler du plaisir de la difficulté, du plaisir et l'excitation de l'inconnu. Peut-être est-ce là un autre élément de réponse?

Ses sculptures semblent poser des questions et aussi apporter des réponses. Des sculptures qui se balancent, basculent sous leur poids. Il en ressort une idée de déséquilibre mais je pense que le sculpteur nous mène sur une mauvaise piste. Des enfants sur une balançoire, un vieux monsieur fumant la pipe sur une chaise berçante, un bateau tanguant sur les flots, une girouette s’inclinant sous l’effet du vent, un cerf volant, des voiles, des danseurs de tango... Il s’en dégage un sentiment de communion entre les êtres, les éléments, une grande harmonie et une sérénité enivrante et apaisante.

Le tango où l’homme amène la femme à être en déséquilibre. Ce déséquilibre permet aux danseurs de se pencher, de s’appuyer l’un sur l’autre et d’évoluer en confiance dans un monde qu’ils se créent à chaque pas, à chaque étreinte.

L'homme en voulant s'isoler du contact avec la terre, avec la nature renie une partie de ce qu'il est en la négligeant, il se néglige lui-même.

Anne-Séverine Loiseleur Deslonchamps, 2004-2009

filet

Elles sont belles, elles racontent chacune une histoire, un sentiment. Elles sont un petit bout du sculpteur, elles dévoilent et brouillent les pistes en même temps. Tu prends le temps de les imaginer, de les créer, de les regarder, d'en être fier ou déçu. Comme un réalisateur avec ses films, comme un écrivain avec ses livres, comme Dieu avec le monde. Ce doit être un sentiment rare de créer quelque chose de toute pièce, de lui donner une apparence physique, de lui donner son souffle de vie et de le laisser ensuite vivre sa propre vie en dehors de soi, en dehors de celui qui l'a créé. On crée pour soi mais aussi pour les autres, on aime donner à voir ses réalisations. Ça fait réfléchir celui qui n'a jamais créé, l'interpelle ou le frustre. En tout cas, ça permet à l'esprit de s'évader vers une forme de méditation sur les formes, les matières. C'est apaisant car tout le monde peut y voir ce qu'il a envie d'y voir...

Anne-Séverine Lafond, le 20 août 2007

filet

Vincent, un mystère à lui tout seul. Il voyage entre la sensibilité et la méfiance, entre la simplicité et l’exigence, entre l’amour des belles choses et l’amour tout court... Éternellement amoureux, définitivement gourmand de la vie, son apparente douceur cache parfois une violence refoulée qu’il n’exprime que dans la complexité des courbes et des formes qui animent ses sculptures... Elles se croisent, se rencontrent, se rejettent, s’évitent pour mieux s’épouser au final, toujours équilibrées... Épurées et tourmentées à la fois, elles révèlent toute la complexité de leur créateur. 3 ou 4 couleurs primaires, pas de nuances, parce que Vincent sait ce qu’il veut. Et il se donnera les moyens de réaliser chacun des nombreux projets qu’il murit depuis quelques années, avec cet amour des choses bien faites qui guide son travail au quotidien. Enigmatique, entier, épicurien, curieux... mais avant tout PASSIONNÉ!

Félice Louf, le 21 mars 2006

filet

Vincenzo ou la passion de l'oxymore

Vzo n'est pas toujours en phase avec notre réalité, une fois seul, il explore son monde intérieur. Un monde que l'on peut voir partiellement dans les traductions téméraires que sont ses sculptures.

L'artiste a une conscience aiguë des choses et développe une perceptivité originale. Il trace son chemin, ramasse des cailloux, torture le bronze, ajoute le bois et avance ainsi sans logique apparente. Il avance toujours en équilibre, avec le souci du travail bien fait.

Les éléments se forment, se déforment et se reforment indéfectiblement dans son imagination tout en restant instinctif dans son rapport à l'œuvre. Après une longue gestation et de nombreuses études, la sculpture apparaît conçue en dehors de tout raisonnement, comme directement issue de l’inconscient.

Quand on voit toute son œuvre, on est bouleversé devant le génie profond du sculpteur et sa volonté d'approcher les idéaux de vérité et de bonheur qui lui sont chers. Il y parvient par un processus transgressif de liaisons, d’interactions et de métamorphoses. Et de la diversité des matériaux, l’interpénétration des formes et la pureté des couleurs, de nouures en nouaisons, naissent des alliances étonnantes.

David Robert, 2003